Par Lucas JEAN-JACQUES
On connait tous cette difficulté de choisir un bon film à regarder. Ce n’est pas une chose facile avec les dizaines de bons films produits chaque année qui viennent eux-mêmes enrichir un historique vieux de plusieurs décennies. David Honorat propose une manière originale pour réussir à s’orienter dans cette masse foisonnante de films. Il a eu l’idée originale de se détacher des listes habituelles de classement des films, et d’opter pour une représentation plus graphique. De cette idée, est née The Great Map of Movieland, une carte reliant plus de 1800 films dans un style imitant celui des cartes routières.
La forme du territoire de la carte est complétement empirique. Il a été dessiné petit à petit en partant du cœur de la carte, en dessinant les routes et en y plaçant les films au fur et à mesure. L’auteur n’est pas un cartographe ou un géomaticien, il est graphiste. Ce processus de création est donc certainement plus proche de celui d’un graphiste que d’un cartographe expérimenté. Même s’il n’a pas de connaissance formelle en sémiologie graphique, la construction visuelle de la carte n’a rien à envier à celle d’un cartographe, avec des éléments graphiques hiérarchisés repris dans une légende. Toutefois, certains des éléments de formalisation qu’apporte le cartographe ne sont pas présents ici : il n’y a ainsi pas d’échelle ou d’orientation. Il s’agit d’un comportement récurrent des cartes de territoires imaginaires. On ne s’y repère que relativement à la carte elle-même via un système de grille. Cette carte est donc essentiellement une carte mentale de la cinéphilie de l’auteur.
La sélection des films est assumée comme étant complètement subjective. L’auteur a choisi les films qu’il a jugé comme les plus méritant de figurer sur sa carte. Il s’est notamment appuyé sur l’influence qu’on eut ces films sur le cinéma et l’inconscient collectif, notamment ceux qui ont eu le plus de succès à l’étranger. Cette sélection résulte ainsi d’un compromis entre des choix personnels et ceux du cinéphile moyen, pour approcher une histoire représentative du cinéma.
Les films sont situés le long de routes qui parcourent la carte, et regroupés par grande thématique ou genre cinématographique. Les routes et les films ont plusieurs niveaux de symbologie. Ainsi, les autoroutes ont tendance à passer plus régulièrement par des films qualifiés de chef d’œuvre par l’auteur que les routes classiques. Outre les chefs-d’œuvre, on peut trouver des films « à voir » ou « des bons remake », ainsi que tout simplement des « films ». Les plus grands chefs-d’œuvre sont également mis en avant par une variation de la police de caractère du titre du film, qui est alors plus grande et grasse. Cette symbologie des films réintroduit une hiérarchie dans les films afin de symboliser des niveaux variables de qualité dans cette sélection. Toutefois, ce système apparait beaucoup plus subtil et pertinent que les classements classiques.
L’auteur a également figuré des éléments de paysage comme des forêts, des rivières, des lacs ou encore des mers. Ceux-ci semblent souvent placés au hasard, selon les envies de l’auteur. Certains de ces éléments prennent néanmoins une signification cartographique forte et permettent de mettre en exergue les films situés à proximité. Le paysage fait alors écho au synopsis du film, avec par exemple la Mindfuck Forest où Shutter Island est représenté sur une île au milieu d’un lac (figure 1).

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Le point fort de cette carte, qui lui apporte toute son utilité, est de réussir à dépasser le stade de la carte mentale de l’auteur pour proposer une carte routière du cinéma. La présence de ce réseau routier permet de nous faire voyager d’un film à l’autre, d’un genre à l’autre, et ainsi de faire découvrir de nouveaux films. On peut ainsi partir d’un film que l’on connait et que l’on apprécie, et puis se laisser porter en suivant l’itinéraire de son choix. L’auteur s’est par la suite appuyé sur ce concept d’itinéraires pour proposer un livre d’une cinquantaine d’itinéraires différents par thématique ou par genre. Ceux-ci permettent de découvrir les films pour leur qualité intrinsèque sans le filtre d’un classement. On peut ainsi passer d’un chef d’œuvre comme Shindler’s List à des films plus ou moins célèbres ou de qualité comme Inglorious Basterds ou 1941 pour aboutir à un autre chef d’œuvre comme Saving Private Ryan, dans le World War Park, localement centré autour de la thématique de la guerre (figure 2).

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D’autres itinéraires plus exploratoires peuvent être imaginés, comme celui qui va de Wall-E à A.I : Artificial Intelligence en passant par Pinocchio pour parler d’intelligence artificielle. La mise à plat du traditionnel classement crée des proximités originales entre les films, ce qui peut donner des cheminements cinématographiques inédits. On peut ainsi imaginer autant d’itinéraires que notre imagination le permet, chacun plus ou moins exotique, surprenant ou classique.
La carte n’est pas figée : les routes s’échappent hors du cadre de la carte. On pourrait ainsi imaginer de la poursuivre dans un processus de création permanent. Il s’agit d’une invitation sans limite à l’exploration du cinéma, qui donne l’opportunité d’enrichir sa lecture des films sur des problématiques semblables.
Modérateurs : Marie GRADELER et Pierre NIOGRET