Par Flavie BLARD
Les applications de navigation mobiles sont devenues indispensables lors de nos trajets quotidiens. Elles nous permettent d’éviter les ralentissements, bouchons et accidents en nous proposant un itinéraire moins encombré. Google Maps, qui fête cette année ses 15 ans, compte près d’un milliard d’utilisateurs par mois. Waze, racheté en 2013 par l’entreprise américaine, dénombre 130 millions d’usagers par mois. L’afflux de véhicules est renseigné à l’aide des informations recueillies par tous les utilisateurs de l’application ayant activé leur GPS. Sur Google Maps, les routes passent alors du vert (non encombrées) au rouge (à éviter). Les usagers font généralement confiance à ces indications : nul ne souhaite être bloqué durant des heures alors qu’un parcours alternatif existe. Toutefois, qu’en est-il lorsque ces informations ne sont pas exactes, créées par un utilisateur qui souhaite limiter le trafic devant son domicile ou être seul sur son itinéraire ? Est-il possible de duper Google Maps en se promenant avec 99 smartphones dont le GPS est activé ? C’est la question à laquelle Simon Weckert a souhaité répondre.
Cet artiste Berlinois a conscience que Google Maps a modifié notre connaissance, nos habitudes de la ville, en apportant du virtuel. Visible sur l’application de navigation mais aussi sur les applications de recherche de logements, de rencontres ou encore de livraison de nourriture, Google Maps fait partie intégrante de notre quotidien. Toutefois, bien qu’il nous permette d’avoir accès à une multitude de services, nous en sommes dépendant. Afin de montrer que Google Maps exerce une forme de contrôle sur nos actions quotidiennes Simon Weckert a réalisé une expérience qu’il a rendu public le 1er février 2020, dans un tweet partagé près de 13 000 fois en une journée (figure 1). D’après les métadonnées des photographies elle a été réalisée en octobre 2019. Il ne souhaite pas donner la date exacte, de peur « que Google puisse bloquer l’identité de ces téléphones ».

Ainsi, Simon Weckert a loué 99 smartphones avec leur carte SIM. Après avoir activé le GPS de chacun des appareils et les avoir connectés à Google Maps, il les a placés dans un chariot puis s’est baladé dans les rues de Berlin, notamment sur le pont An Der Schillingbrücke (figure 2) ou encore sur la Tucholskystraße, où se situent les bureaux Berlinois de Google. Son tweet est accompagné d’une vidéo, disponible sur Youtube. Dans cette dernière, on voit, en parallèle, Simon Weckert se promener tranquillement dans des rues désertes, avec son chariot remplis de téléphone et l’état du trafic à Berlin, passant du vert au rouge sur les axes qu’il emprunte (figure 2).

Le nombre de téléphone a été choisi au hasard. Il n’est donc pas en mesure de dire le nombre de puces GPS nécessaires pour créer un encombrement des voies de circulations.

De nombreux doutes ont alors été soulevés concernant notamment le signal GPS des smartphones situés au fond du chariot, est-il bien capté ? Toutefois, Google a rapidement indiqué que ce type d’expérience est tout à fait envisageable, précisant que l’application « a réagi comme [elle] le devait. Quand il y a 99 smartphones qui avancent doucement dans une rue, il y a toutes les chances qu’elle soit encombrée. Ici, on a cherché à biaiser le système. Que quelqu’un mette volontairement des téléphones dans un chariot, c’est un cas éminemment rare, rapporte une source interne à Google. Ensuite, la situation se rétablit en quelques secondes. La data de trafic, c’est une chose sur laquelle on travaille encore. Dans certains pays, on a mis en place des solutions qui permettent de détecter si la personne est sur une voiture ou plutôt une moto par exemple. »
Dans le cas de Google Maps, il est difficile de parler d’Information Géographique Volontaire (IGV). En effet, les utilisateurs doivent accepter qu’en utilisant l’application, leurs données sont utilisées afin de rendre compte, entre autres, de l’état du trafic. Ce n’est pas le cas pour l’application Waze où les utilisateurs entrent volontairement des informations sur leur itinéraire : bouchons, accidents, etc.
Toutefois, certains habitants de rues très fréquentées (pour une durée déterminée, à la suite de travaux sur d’autres voies, ou non) ont choisi d’utiliser ces fonctionnalités pour limiter le nombre d’usagers dans leur rue, notamment aux heures de pointes. Ces habitants sont appelés des inspecteurs Waze. Ces derniers indiquent de faux accidents ou des nids de poules obligeant les automobilistes à prendre d’autres routes. Waze propose alors un itinéraire de substitution.
Des étudiants de l’Institut de technologie d’Israël (Technion) sont eux allés plus loin en codant un algorithme permettant de créer un très grand nombre d’utilisateurs (bots) localisés sur la même rue. Cette dernière devient alors très encombrée, un bouchon se forme et Waze propose un itinéraire alternatif, comme le montre la figure 4.

Waze indique tout de même que ces situations restent des cas isolés. En effet, l’application étant participative, les autres usagers valident, ou non, les informations. C’est pourquoi, un problème imaginaire ne sera pas validé par les autres utilisateurs et disparaîtra alors rapidement de la carte. Ainsi Timothy Connor, un habitant du Maryland, a indiqué de faux accidents durant deux semaines avant que Waze ne le suspende le considérant comme un saboteur.
Il existe donc différents types de profil de « saboteur » des applications de navigations. De la volonté de lancer une réflexion sur la place significative prise par ces applications dans nos vies en utilisant un nombre massif d’appareil et en mettant en scène la représentation, à l’image de Simon Weckert, à l’envie de préserver ou de retrouver sa tranquillité à l’image de Timothy Connor.
Enfin, beaucoup de municipalités voient de petites rues paisibles devenir des artères très emprunté aux heures de pointes suite à l’utilisation massive de l’application Waze. L’affluence de véhicules sur certains itinéraires est un sujet au cœur du débat des élections municipales de mars prochain dans certaines communes Françaises, à l’image de Nantes. Dans cette dernière, la candidate LrEM Valérie Oppelt propose d’ajouter, dans ces rues, des bornes rétractables sur la chaussée qui seraient ouvertes qu’à certaines heures du jour et de la nuit, préservant alors la tranquillité des riverains.
En conclusion, bien que les applications de navigation s’ouvrent à des failles, il est important de noter que cela reste minime et que, bien souvent, la situation se rétabli à la normale rapidement à la suite de l’utilisation des données des autres utilisateurs.
Sources :
http://www.simonweckert.com/googlemapshacks.html
https://arxiv.org/pdf/1410.0151v1.pdf
https://www.washingtonpost.com/local/traffic-weary-homeowners-and-waze-are-at-war-again-guess-whos-winning/2016/06/05/c466df46-299d-11e6-b989-4e5479715b54_story.html
https://www.liberation.fr/checknews/2020/02/04/peut-on-vraiment-tromper-une-fois-google-maps-avec-99-telephones_1777000
https://en.wikipedia.org/wiki/Google_Maps
https://en.wikipedia.org/wiki/Waze
https://www.ouest-france.fr/elections/municipales/municipales-nantes-valerie-oppelt-pense-court-circuiter-waze-6730108
Modérateurs : Chloé TOMMASI et Sophie TALBOT
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