Par Jean VILLARD
Prenons une situation de la vie courante. Votre cousin vous invite à dîner mais évidemment vous ne connaissez pas l’itinéraire pour se rendre chez lui, ou encore pour vos prochaines vacances votre conjoint.e vous offre un voyage aux Philippines (Mais c’est où les Philippines déjà ?)
Le premier réflexe que vous aurez sans doute est d’ouvrir une carte, et non pas n’importe quelle carte : mais probablement celle produite par Google Maps !
C’est en 2005 que Google Maps fut lancé par la société Google. On parle d’une époque où les cartes Michelin se vendaient chez tous les libraires français. Aujourd’hui Maps représente 80 % du marché des cartes en ligne, ce qui correspond à plus d’un milliard de visiteurs par mois. Par cela, Maps est devenue une application de référence à part entière dans les usages cartographiques de tous les jours pour de nombreuses personnes. L’application a pu ensuite développer différentes fonctionnalités supplémentaires dans le temps, comme le mode immersif de Street View ou encore les calculs d’itinéraires en temps réel.
Le rôle principal de Google Maps est donc de renseigner l’utilisateur en ciblant la(les) requête(s) géographique(s) formulée(s). Pour cela l’application se doit de tenir ses cartes à jour en suivant les changements physiques et diplomatiques des différents continents. Toutefois, comment réagir pour une application développée à l’international quand les frontières administratives et les relations géopolitiques entre les pays ne sont pas claires ni même déterminées par les organisations internationales ? Google Maps a fait un choix : celui de ne vexer personne dans ses représentations.
Un choix par la représentation
La carte proposée en tête de ce billet présente les pays membres de l’ONU dont les frontières ne sont pas surlignées sur Google Maps lorsqu’une recherche est lancée.
Pour être plus précis, prenons deux cas concrets :


Sur la figure 1, il est facile d’identifier que les frontières françaises sont surlignées en rouge, tandis que sur la figure 2 les frontières ne sont pas surlignées pour le Maroc. Évidemment ce n’est pas uniquement car il s’agit du Maroc ou de la France, cette logique se retrouve suivant les pays mis en avant sur la carte présentée.
Cette marque de représentation semble anecdotique, toutefois derrière ce surlignage se cache une réalité beaucoup plus complexe reposant sur les délimitations administratives de notre planète et de ses zones de conflits. On identifie dans la majorité des cas que les pays ne disposant pas de limites surlignées sur Google Maps ont des différents frontaliers avec leurs voisins. La cartographie présentée met en avant les zones de conflits de la planète. En prenant l’exemple de la frontière entre la Russie et l’Ukraine, les organisations internationales n’ayant pas reconnu l’annexion de la Crimée par la Russie, Maps évite ainsi de trancher en dessinant les limites d’une zone terrestre revendiquée par deux pays.
Toutefois, même si le géant de la cartographie en ligne évite de prendre position dans le choix des limites internationales, il se permet de contourner ces règles dans certains cas afin que leurs outils disposent de la vision la plus appropriée en fonction du lieu de connexion de l’utilisateur.
Le Cachemire : une zone de tension revendiquée par trois pays différents

Le Cachemire (Figure 3) est un territoire situé dans l’Himalaya revendiqué en partie par le Pakistan, l’Inde et la Chine. Cette zone de conflit engendré en 1947 après l’indépendance de l’Inde est l’un des territoires les plus contestés et morcelés de notre planète à cause de ses limites, car chaque pays revendique une zone différente.
Pour cela, Google Maps n’a évidemment pas dessiné les limites de ces trois pays et préfère représenter les frontières du Cachemire par des lignes en pointillés, à trois exceptions près. Afin de ne pas irriter les différents utilisateurs et les gouvernements de ces pays dans l’utilisation de leurs cartes, Maps contourne la règle en affiliant par pays les limites du territoire qu’il revendique. Il est donc possible pour un résident indien basé à Delhi de comprendre que le Cachemire est propriété indienne comme son gouvernement le revendique, et inversement pour une résidente pakistanaise basée à Lahore. Google adapte alors les limites mondiales selon le lieu de l’utilisation de la plateforme (figure 4).

Derrière cette adaptation clivante se cache deux réalités bien distinctes :
La première est celle de la pression exercée par les gouvernements sur la société américaine. En 2014, la Crimée est annexée par les troupes russes mais n’est pas reconnue par les organisations internationales. Par cela, Maps continu de ne pas représenter les limites de la Crimée comme étant russe.
Quelques mois après l’annexion, le gouvernement de Vladimir Poutine a menacé Google Maps de bloquer la plateforme sur leur territoire si celui-ci n’était pas capable de représenter la Crimée comme un territoire russe. En poursuivant dans sa stratégie d’avoir un outil n’irritant aucun pays, Maps a alors redessiné les frontières de la Russie pour les utilisateurs russes, en affiliant la Crimée au sein du territoire russe.
Par ces actes, Google Maps montre qu’il est devenu un outil important à l’échelle de la population mondiale mais aussi au sein des gouvernements mondiaux. L’outil montre une forme de soumission à la pression des états et suit les revendications locales, malgré le fait que celles-ci aillent à l’encontre de décisions internationales.
Contrairement à d’autres producteurs cartographiques, Google n’hésite pas à prendre parti dans les choix des limites. La carte devient alors un argument de propagande où Google se plie pour éviter la censure, comme c’est le cas en Chine ou en Russie. Google redessine les frontières en fonction de qui regarde.
Alors pourquoi Google Maps évite d’irriter les pays par ces choix de représentations ?
Il s’agit de la deuxième réalité derrière l’outil cartographique et probablement celle comptant le plus d’importance. Google Maps appartient à la société Google faisant partie des GAFAM, présentés comme les géants du web et les entreprises les plus influentes de la planète. Google Maps est donc un outil cartographique qui rapporte énormément d’argent provenant du monde entier. Maps est un business. Derrière le business il y a des enjeux géopolitiques compliqués et l’enjeu de ne froisser personne, surtout quand celui-ci peut faire pression ou encore ralentir les revenus du groupe.
Derrière le fait de ne choquer personne, il y a donc la volonté que la firme amasse plus de revenus à travers tous les pays même s’il faut redessiner les frontières. En découlent certains témoignages d’anciens cartographes de Maps, expliquant qu’on leur demandait sans raison et suivant les contextes de redessiner les frontières (source : Whashington Post). Google fait donc pression sur ses cartographes et adapte son business. Par la carte, Google peut alors influencer la perception du Monde au quotidien.
Quelle information se cache derrière cette carte ?
À travers ces différents arguments, cette carte évoque premièrement la fragilité du monde dans lequel nous vivons. Elle traduit les zones de conflits importantes et les tensions géopolitiques entre les pays frontaliers. Elle affirme que les frontières et le territoire de chaque pays représentent un enjeu immense et sensible dans le partage de notre territoire. Derrière l’outil cartographique, chaque pays peut alors influencer et choisir de montrer ce qu’il souhaite à sa population. Lorsque que l’outil cartographique de référence s’adapte à des limites non fondées, les populations sont bridées par leurs gouvernements. Mais le réel problème n’est-il pas de savoir qu’une firme américaine se plie aux exigences d’États violant le droit international ?
En conclusion, le géant Google Maps se permet de s’adapter à la censure des gouvernements. Son but ? garder son business et son leadership mondial dans le domaine de la cartographie en ligne en allant à l’encontre des décisions internationales. Toutefois, celui-ci fait face à un rôle complexe qui est de dessiner les limites administratives de notre planète.
Sources
[1] S. Genevois, « Cartographie numérique: Google Street View et sa couverture géographique très sélective », Cartographie numérique. https://cartonumerique.blogspot.com/2018/03/google-street-view-et-sa-couverture.html
[2] R. Nieva, « Google Maps changes political borders based on who’s viewing, report says », CNET. https://www.cnet.com/tech/mobile/google-maps-changes-political-borders-based-on-whos-viewing-report-says/
[3] REASON, Google redraws the borders on maps || Online mapmakers || REASON, (2020).. [En ligne Video]. Disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=TzmCOnwACHM
[4] « Google redraws the borders on maps depending on who’s looking », Washington Post.. [En ligne]. Disponible sur: https://www.washingtonpost.com/technology/2020/02/14/google-maps-political-borders/
[5] le figaro, « Les frontières dans le monde aujourd’hui », Le Figaro Etudiant. https://etudiant.lefigaro.fr/article/les-frontieres-dans-le-monde-aujourd-hui_b200b400-7401-11ea-902d-465f5edd3dd9/
[6] « Quartz », Quartz. https://qz.com/
[7] « sequence_geo_terminale_-_carto_version_definitive.pdf ». [En ligne]. Disponible sur: https://www.histoire-immigration.fr/sites/default/files/musee-numerique/documents/sequence_geo_terminale_-_carto_version_definitive.pdf
Modérateurs : Kevin GRANGE et Matthieu LACROIX
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