par Marie GRADELER
La flambée d’une épidémie dans un pays peut drastiquement affecter son économie. À titre d’exemple, d’après le Forum de l’Économie mondiale, un cas de pandémie majeur similaire à celui de la Grippe Espagnole (1918) ferait chuter l’économie mondiale de 5 % (1). Cette pandémie avait fait à l’époque 20 à 50 millions de victimes dans le monde (2). Ces chiffres soulèvent ainsi l’importance de cette facette des enjeux sanitaires actuels concernant la flambée et la propagation des épidémies au niveau mondial.
Afin d’illustrer ces enjeux, considérons le cas de la Grippe Espagnole. Des villes entières se sont retrouvées paralysées par le grand nombre de malades et la peur des personnes saines qui refusaient d’aller travailler (3). On estime de plus qu’une infirmière sur quatre décédaient alors aux États-Unis, amputant le système de santé du pays et ralentissant la prise en charge de patients toujours plus nombreux. Le cas plus récent de la flambée de la grippe aviaire (ou virus H5N8) entre 2014 et 2017 montre l’impact d’un risque de pandémie en France. Face à la contamination croissante des volailles et du risque de transmission à l’homme, le gouvernement français a mis en place de nouvelles mesures de biosécurité (arrêté du 8 février 2016 (4)) ainsi qu’une stratégie d’éradication du virus (arrêté du 9 février 2016 (5)). Ce dernier, stipulant un dépeuplement progressif des exploitations concernées, a causé l’abattage d’au moins 3,7 millions de palmipèdes en un an (6). Les pertes financières immédiates ont été estimées à plus de 250 millions d’euros, causant un taux de chômage élevé parmi les éleveurs et poussant l’état à réagir avec la mise en place de dispositifs d’indemnisation (7). Ces abattages ont enfin fait diminuer la production de foie gras, faisant augmenter son prix et affectant son exportation, dégradant ainsi l’activité économique du pays. De manière générale, la réponse de l’État et de la population d’un pays face à une épidémie peut provoquer un ralentissement de son économie et vice-versa.
La société américaine Metabiota® s’intéresse à ces différents enjeux. Regroupant une équipe scientifique d’épidémiologistes et vétérinaires et une équipe d’ingénieurs de modélisation sous un même leadership, elle se propose d’accompagner la recherche, l’industrie et les gouvernements à travers leur lutte contre le risque pandémique. Parmi ses prestations, elle propose entre autres une plateforme de suivi en temps réel des épidémies de plus de 120 agents pathogènes infectieux à travers le monde (8). Une version gratuite de cet outil, aux fonctionnalités réduites, est disponible en ligne et accessible au grand public.

La carte interactive présente une vue globale des épidémies actuelles à l’échelle du globe et propose dans le bandeau supérieur de télécharger le dernier rapport de Metabiota® en date. À l’heure de la rédaction de cet article, 138 épidémies en cours ont été relevées dans le monde. Une échelle relative en gradient bleu permet de représenter cette donnée pour chaque pays ; plus il est sombre et plus nombreuses sont les épidémies en cours, leur nombre exact étant donné dans une infobulle au survol du secteur. Par exemple, 18 des 138 évènements ont lieu aux États-Unis contre 3 en France, et aucun n’est actuellement recensé en Russie. Des infobulles informatives accompagnent la légende. On apprend ainsi que Metabiota® considère une flambée comme étant « en cours » lorsqu’au moins un rapport contenant des données sur l’épidémie a été publié dans les 90 derniers jours. Des marqueurs orange animés mettent en avant l’acquisition de données récentes de moins de 14 jours.
Un onglet d’information générale est disponible sur le bord droit de la carte et explique dans les grandes lignes la manière dont la société collecte ses données et met la carte à jour. Les informations plus détaillées ne sont pas disponibles sans avoir souscrit un abonnement à leur service. Par exemple, les bases desquelles leurs données sont issues ne sont pas listées dans la version gratuite. Dans cet onglet une explication mentionne que l’objectif de cette carte est de mettre en avant les évènements de haute priorité qui pourraient poser un risque majeur pour la région sélectionnée. Ceux-ci concernent la santé publique ou encore la stabilité sociale, économique et politique du pays.
Divers outils permettent d’approfondir la lecture de celle-ci. Tout d’abord, cliquer sur un pays affecté fait apparaître l’infobulle « Epidemic Summary » qui résume les épidémies en cours en quelques chiffres clés. Prenons le cas de la République Démocratique du Congo.


Nous pouvons constater que 5 épidémies sont actuellement déclarées dans le pays, dont au moins une associée à de la donnée récente comme l’indique le marqueur orange. Il s’agit de l’épidémie du Zaire Ebolavirus qui a commencé en juillet 2018 et dont les données proviennent de sources composites. L’infobulle indique pour chaque épidémie la date d’enregistrement du premier cas connu, celle du cas référencé le plus récent, ainsi que le total des malades identifiés et des décès imputés à la flambée de la maladie. Le premier patient de cette flambée d’Ebola a été identifié le 10 juin 2018, le dernier le 26 novembre 2019, et 3 304 cas ont été déclarés pour 2 199 décès. Metabiota® fournit un indicateur supplémentaire particulièrement intéressant qu’ils appellent le « Pathogen Sentiment » ou « Opinion sur le Pathogène ». Il permet de mesurer l’anxiété publique vis-à-vis de la maladie à partir de ses symptômes, de son taux de mortalité ou encore des traitements disponibles. Celui-ci apparaît dans l’infobulle hormis lorsqu’il est au niveau le plus bas. Une opinion élevée indique que l’épidémie inquiète le grand public et le fait réagir ; c’est le cas pour Ebola, ce qui s’explique notamment par le taux de mortalité élevé du virus puisque les chiffres montrent que plus de 65 % des patients sont décédés.
Une infobulle localisée à côté du nom du virus permet d’accéder directement au profil du pathogène, qui peut aussi se faire via l’onglet « Pathogen Profiles » en sélectionnant Zaire ebolavirus pour notre exemple. Notons que ce raccourci est parfois indisponible, pour une raison que nous n’expliquons pas.

Celui-ci donne des indications diverses sur le pathogène sélectionné. Nous apprenons par exemple que deux vaccins contre Zaire ebolavirus sont à l’essai mais qu’aucun n’a officiellement été mis en place. La période d’incubation du virus est de 2 à 21 jours et les patients ne sont pas infectieux avant les premiers symptômes. La transmission la plus commune est d’homme à homme via le contact avec les liquides biologiques des personnes infectées. Le vecteur animal est aussi suspecté (chauve-souris, primates…). Cette épidémie est localisée en Afrique Centrale et en Afrique de l’Ouest et la plus grosse flambée du virus a eu lieu entre 2014 et 2016. Enfin, des indications complémentaires sont apportées sur l’opinion au sujet d’Ebola ; très élevée, elle nécessite la mise en place de précautions telles que la mise en quarantaine des personnes infectées.
Enfin, la carte propose de filtrer l’affichage des épidémies en cours en fonction d’un pathogène choisi. Sélectionner le Zaire ebolavirus nous permet de constater qu’une seule épidémie déclarée est en cours et que c’est celle qui a lieu dans la République Démocratique du Congo.

L’intérêt de cette fonction est qu’elle peut permettre de suivre des épidémies à l’échelle mondiale. Un autre exemple est celui de la dengue qui est actuellement répandue sur presque tous les continents du globe :

Cette application présente un grand intérêt informatif pour le grand public ; simple à comprendre et à prendre en main, elle permet une exploration à plusieurs niveaux des pandémies en cours. En plus d’assurer un suivi des flambées quasiment en direct, elle délivre des informations clés sur celle-ci et permet même d’approfondir sa connaissance de l’agent pathogène et de le suivre à l’échelle du globe. La fréquence de ce rafraîchissement n’est néanmoins pas communiquée. On regrette aussi qu’elle ne propose pas le nom vernaculaire des pathogènes, ce qui pousse l’utilisateur à devoir faire des recherches en parallèle. De plus, il serait intéressant de disposer un indicateur permettant de discriminer les épidémies « isolées » des pandémies, et créer ainsi une catégorie à part, ou encore de trier les épidémies par nombre de cas référencés ou nombre de décès attribués. Enfin, on peut s’interroger sur le nombre important de pandémies déclarées aux États-Unis ; le pays est-il réellement en proie à plus de flambées que les autres, notamment de par sa taille et sa densité de population, ou bien la société reçoit-elle plus de données des services de santé Américains que d’autres ? S’il est compréhensible que ces informations ne soient pas disponibles dans la version gratuite et tout public de l’application, elles seraient néanmoins nécessaires pour permettre une meilleure lecture de la carte.
Pour conclure, insistons sur le fait qu’il s’agisse d’un bon outil de sensibilisation. En prenant l’exemple du virus Ebola, nous avons pu mettre en évidence qu’une épidémie particulièrement meurtrière était actuellement en cours en République du Congo avec plus de 2000 décès depuis le premier cas enregistré. Il s’agit actuellement de la seconde flambée la plus meurtrière du Zaire Ebolavirus (9) depuis celle qui avait fait la une des médias entre 2014 et 2016. L’équipe scientifique de Metabiota® a d’ailleurs rédigé un article sur cette « urgence sanitaire mondiale que personne ne remarque » (10) et les personnes intéressées peuvent suivre l’évolution de l’épidémie directement depuis le site de l’OMS (9) qui propose des chiffres sur Ebola mis à jour plus rapidement que sur la carte de Metabiota®, ou encore sur la page dédiée du site de l’UNICEF (11).
Modérateurs : Thomas ANDRÉ et Sophie TALBOT
Références :
- « Prévenir la prochaine pandémie », G. H. Brundtland et E. As Sy, World Economic Forum, 29-10-2019 (dernière consultation le 04-12-2019)
https://fr.weforum.org/agenda/2019/10/prevenir-la-prochaine-pandemie/ - « L’énigme de la grippe », Bulletin de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) (dernière consultation le 08-12-2019)
https://www.who.int/bulletin/volumes/90/4/12-020412/fr/ - « La grippe « espagnole », plus meurtrière que la Guerre de 14-18 », Petite histoire des grandes maladies, Le Généraliste, 02-01-2015 (dernière consultation le 08-12-2019)
https://www.legeneraliste.fr/actualites/article/2015/01/02/la-grippe-espagnole-plus-meurtriere-que-la-guerre-de-14-18_258311 - « Arrêté du 8 février 2016 relatif aux mesures de biosécurité applicables dans les exploitations de volatiles et d’autres oiseaux captifs dans le cadre de prévention contre l’influenza aviaire », Legifrance, 08-12-2016 (dernière consultation le 08-12-2019)
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032000273 - « Arrêté du 9 février 2016 déterminant des dispositions de lutte complémentaires contre l’influenza aviaire hautement pathogène suite à la détection de la maladie sur le territoire français », Legifrance, 09-12-2016 (dernière consultation le 08-12-2019)
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032000306 - « La grippe aviaire a déjà conduit à sacrifier 3,7 millions de canards en France », G. Le Puill, l’Humanité, 10-03-2017 (dernière consultation le 08-12-2019)
https://www.humanite.fr/la-grippe-aviaire-deja-conduit-sacrifier-37-millions-de-canards-en-france-633231 - « Mise en œuvre des dispositifs d’aides concernant l’indemnisation des éleveurs et des entreprises touchés en 2017 par l’épisode H5N8 de grippe aviaire », communiqué, site du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (Alim’Agri), 15-02-2018 (dernière consultation le 08-12-2019)
https://agriculture.gouv.fr/grippe-aviaire-mise-en-oeuvre-des-aides-pour-lindemnisation-des-eleveurs-et-entreprises-touches-en - METABIOTA® Epidemic Tracker (dernière consultation le 04-12-2019)
https://www.epidemictracker.com